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La dernière note de Didier Saint-Georges membre du comité d'investissement de Carmignac Risk Managers.
Didier Saint-Georges
Après avoir pris la main pendant des années sur les destinées économiques du monde développé, et plus encore sur les marchés financiers, les Banques centrales sont visiblement arrivées plus ou moins au bout de l’exercice. C’est tout particulièrement le cas de la Banque centrale américaine, qui au lieu de continuer de fournir des liquidités au système a commencé désormais à en soustraire. En fragilisant tout l’édifice des marchés, construit sur dix années de liquidités surabondantes, cette inversion de tendance est d’une importance majeure pour les investisseurs. Mais ce reflux du soutien monétaire fait aussi émerger deux autres forces, jusqu’à récemment mises sous le boisseau écrasant des politiques monétaires exceptionnelles : le cycle économique et les politiques gouvernementales.
Côté cycle, les marchés se sont pour l’instant rassurés en se félicitant depuis deux ans d’une embellie économique générale, prolongée aux États-Unis par la politique budgétaire expansionniste du président Trump. Ce cycle commence à montrer ses premiers signes d’essoufflement (voir la Carmignac’s Note de juin 2018 « Compte à rebours »). Côté politique, l’économie libérale et mondialisée des dernières années, qui a attisé le renchérissement des actifs financiers mais guère profité aux revenus salariés, a provoqué l’émergence d’une forme de rébellion, aux États-Unis, en Amérique latine comme en Europe, souhaitant contester l’ordre économique établi. Nous évoquions l’an passé l’enjeu de moyen terme que cette nouvelle phase politique, aussi respectable fût-elle, représentait pour les investisseurs (Carmignac’s Note d’avril 2017 « Les investisseurs de long terme devraient se défier du populisme »).
C’est cette collision entre cycles monétaire, économique et politique qui constitue le principal risque pour les marchés aujourd’hui, au-delà de leur focalisation à court terme sur sa seule composante politique.
source : Carmignac
La guerre commerciale aura-t-elle lieu ?
L’assaut mené par les États-Unis contre la forteresse commerciale chinoise, conjugué au tarissement de la source mondiale de dollars, compte déjà ses premières victimes. La Bourse chinoise a perdu 15% de sa valeur depuis le début de l’année et, par contagion, les actifs financiers du monde émergent, notamment leurs devises, se sont affaissés. Les économies les plus dépendantes d’un financement externe en dollars ont naturellement le plus souffert, au premier rang desquelles l’Argentine, dont les progrès réguliers mais encore fragiles du programme de réformes ont été balayés par une violente bourrasque de défiance des investisseurs.
Il existe aujourd’hui dans l’Administration américaine des voix influentes, porteuses d’un courant idéologique, qui présentent sans ambages la Chine comme l’ennemi stratégique, dont il faut casser la dynamique. Si l’ambition des États-Unis est en effet, sous le couvert d’une empoignade sur les droits de douane, d’empêcher la Chine de mettre en œuvre son plan stratégique « Made in China 2025 », alors la confrontation sera longue et destructrice. Le président chinois Xi Jinping n’est certainement pas disposé à renoncer à son ambition de poursuivre l’ascension de la Chine sur la chaîne de valeur industrielle globale. L’offensive annoncée contre les importations d’automobiles allemandes procède du même enjeu, l’Union européenne étant rassemblée face à la posture américaine. Mais est-il certain qu’il faille voir en Donald Trump une sorte de héros homérien, porté par le destin dans une guerre inexorable, qui ne trouvera son issue que dans l’anéantissement de l’un des protagonistes ?
Il est parfaitement plausible que, au contraire, l’aspiration américaine soit pragmatique, politique, et de beaucoup plus court terme. Les élections de mi-mandat du Congrès des États-Unis qui auront lieu le 6 novembre prochain sont naturellement un objectif de première importance pour Donald Trump, dont le Parti républicain n’est pas donné gagnant dans les sondages à ce jour. Parvenir avant ce scrutin décisif à s’enorgueillir d’accords avec la Chine, et si possible aussi avec l’Union européenne, qui ne manqueraient pas d’être présentés comme des victoires héroïques, serait du meilleur effet auprès de l’opinion américaine. Une stratégie d’investissement ne doit par conséquent pas exclure l’opportunité d’une issue rationnelle le moment venu.
À ce sujet, le dollar, qui profite aujourd’hui d’une économie américaine encore vivace, d’une aversion générale au risque et d’une Banque centrale toujours déterminée, pourrait dans le même temps perdre de sa superbe, le ralentissement du cycle aidant, et l’éloignement du scénario du pire pourrait faire apparaître des niveaux d’entrée alors convaincants au sein des actifs émergents de qualité.
À court terme, le souci de préservation du capital dans tous les scénarios incite ainsi à la plus grande prudence, mais avec toute la flexibilité et la réactivité nécessaires, le pire n’étant jamais sûr.
La zone euro est-elle condamnée ?
La contestation au sein de la zone euro de ce qui est perçu comme une construction tour à tour inefficace, rigide, bureaucratique, injuste, voire antidémocratique, est croissante. Mais ce sont bien ses insuffisances qui sont l’objet d’un désaveu croissant, et non son existence. Les mouvements de panique qui accompagnent occasionnellement les velléités exprimées ici ou là de sortie de la zone euro manquent l’essentiel : l’opinion publique a partout bien compris que le coût d’un retour à sa monnaie d’origine par un quelconque pays serait prohibitif. À tort ou à raison, l’euro est à ce jour irréversible, comme le rappelait encore récemment Mario Draghi.
En revanche, le fonctionnement de l’ensemble de l’Union européenne présente un besoin urgent de réformes, sous peine de secousses récurrentes qui finiraient bel et bien par venir à bout de l’édifice. Le président français Emmanuel Macron l’a bien compris, la chancelière Angela Merkel aussi. Elle pourrait donc user de son dernier mandat à la tête de l’Allemagne pour favoriser ce mouvement. Sur le plan économique, une initiative de cette dernière pourrait par exemple consister à réunir sa coalition autour d’un projet de réforme fiscale, qui exploiterait une partie des très larges marges de manœuvre dont dispose l’économie allemande.
Ce geste de leadership politique serait une réponse crédible au risque de ralentissement économique déjà perceptible, et positionnerait davantage le pays en locomotive de la croissance européenne plutôt que continuer d’assumer principalement le rôle de surveillant sourcilleux du respect des contraintes d’équilibre de Maastricht. La CSU, partenaire conservateur de la CDU, une fois rassurée sur ses préoccupations migratoires pourrait sans nul doute apporter son soutien à un programme de réduction de la pression fiscale. C’est probablement l’une des erreurs les plus récurrentes des observateurs anglo-saxons d’avoir à l’occasion de chaque crise européenne sous-estimé la volonté politique qui est capable de se rassembler autour de la survie de la zone euro. Le véritable risque à court terme demeure selon nous celui du cycle économique (voir la Carmignac’s Note de juin 2018 « Compte à rebours »), du fait de stabilisateurs monétaires épuisés, et de stabilisateurs budgétaires très insuffisants faute de réformes.
Les menaces de protectionnisme sont naturellement anxiogènes pour la plupart des acteurs économiques. Mais ce constat vaut aussi pour les États-Unis où le monde des affaires commence à signaler à l’Administration américaine les risques d’une telle politique. Paradoxalement, le fait que son impact direct et immédiat sur la croissance économique américaine soit très faible renforce le risque du maintien d’une posture politique très rigide dans l’immédiat. L’actualité pour les marchés est ainsi devenue aujourd’hui principalement politique, ce qui réduit la visibilité et incite à la prudence. Mais des forces de rappel, autrement dit de bon sens, devraient continuer de se multiplier pour aboutir à des compromis bénins.
Rappelons que le véritable risque pour les marchés est plus complexe, donc moins bien appréhendé à court terme : il réside dans la possibilité d’un télescopage entre ces politiques économiques déstabilisatrices, un cycle économique devenu vulnérable, et des Banques centrales à court de munitions.
Achevé de rédigé le 04/07/2018.
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